Monologue littéraire

[Yann]

La séparation [The separation] de Christopher Priest chez Denoël, traduit par Michelle Charrier

Une uchronie très étrange, dans laquelle on ne sait pas si les deux univers parallèles ont divergé ou bien s'ils entremêlent. Un monde dans lequel la guerre entre l'Angleterre et l'Allemagne s'est achevée en 1941, et un autre où elle a continué mais pas toutefois de la même manière que ce que l'on connaît.
Avec un style dense, voire très dense, où chaque mot pèse son lot de signification, l'auteur nous fait suivre l'itinéraire de deux jumeaux, médaillés en deux de couple aux JO de Berlin en 1936, mais dont les destinées seront bien différentes. Et tout ça, entre roman et reconstitution historique, témoignages d'archives et enquête.
Au final, malgré plusieurs mystères qui restent entiers, voilà un regard plutôt décalé sur la deuxième guerre mondiale, notamment sur l'importance des populations civiles dans le conflit.

Yann

[Yann]

La vie, mode d'emploi de Georges Pérec

Un roman ? Un essai, une notice explicative ? Un livre hors-normes, oui ! Telles les cases d'un échiquier, le narrateur se déplace de pièce en pièce dans un immeuble haussmannien, décrivant minutieusement ce qu'il voit et digressant sur les histoires de chacun des habitants. Mais alors, me direz-vous, pourquoi ce titre ? En quoi cette énumération d’existences nous renseigneraient-elles sur la manière d'employer sa vie ? C'est là toute la force et l'habileté de Pérec qui, sous couvert de bâtir un livre obéissant à un certain nombre de contraintes littéraires, nous livre une œuvre magistrale ou comment à partir des plus petits détails du quotidien, dresser au fil des pages une construction complète de la Vie.

Yann

[Yann]

Il était une fois en France (tomes 1 à 6) de Fabien Nury & Sylvain Vallée chez Glénat

Cette BD fait partie des meilleures que j'ai jamais lues, voire est la meilleure !
D'une qualité constante tout au long des 6 tomes, les auteurs nous invitent à découvrir l'histoire hors normes (et vraie !) de Joseph Joanovici, un Juif rescapé des pogroms de Russie qui trouve refuge en France dans l'entre-deux-guerres. Un personnage fascinant, autodidacte illettré qui a fait fortune dans la ferraille, adepte de la parole donnée et peu regardant quant au respect des lois, flairant toujours les bons coups et dont la philosophie de vie reste à jamais inclassable. Vrai résistant et vrai collabo, père de famille et criminel, magouilleur et fidèle, amis de tous et haï par beaucoup, les auteurs ont su page après page décrire le monde incroyable que Monsieur Jo a forgé petit à petit autour de lui. Ses forces et ses faiblesses, toutes ses ambiguïtés sont passées au crible d'un dessin plein de force et de tendresse et d'un scénario quasi parfait.

Du grand art, récompensé d'ailleurs à Angoulême !

Yann

[Yann]

Patients de Grand Corps Malade, chez Don Quichotte

Un témoignage remarquable où le grand slameur de nos banlieues raconte les quelques mois qui ont changé sa vie. 20 ans, il fait le con avec des potes dans une piscine : colonne vertébrale touchée, il devient tétraplégique incomplet.
Après 4 semaines en réanimation, sa nouvelle maison sera un centre de rééducation où il devra réapprendre un par un les gestes du quotidien. Il repart à la vie quasiment de zéro.
Un formidable regard sur le monde du handicap à travers un récit drôle et touchant, plein de finesse. Avec un hommage à tous les visages, patients et soignants, qui l'ont accompagné dans cette renaissance.
Composé en plus son style de slameur unique, il est la preuve qu'on n'a pas besoin d'être un grand "intellectuel" pour jouer avec les mots et faire vibrer notre belle langue française !

Yann

[Yann]

L'honneur perdu de Katharina Blum [Die verlorene Ehre der Katharina Blum] de Heinrich Böll chez Points, traduit par S. et G. de Lalène

Heinrich Böll est un des plus grands auteurs allemands de la deuxième moitié du XXème siècle, et je me suis dit que ce serait pas mal de le découvrir. J'ai donc choisi ce livre par rapport à son titre où se trouve le prénom de ma princesse.
Résultat : déçu. Le style est ombrageux (peut-être est-ce du à la traduction ?), monocorde et énigmatique et le dessein de l'auteur fantomatique. J'en attendait plus, notamment un certain regard sur la société allemande, mais il m'a peut-être manqué certaines clés de lecture. Dommage, de ce que j'ai lu, il y a d'autres ouvrages intéressants. Pour une prochaine fois peut-être...

Yann

[Yann]

Le sabotage amoureux d'Amélie Nothomb

Et voilà, j'ai replongé avec délice dans le monde étrange et enivrant de l'autobiographie nothombienne !
Après le Japon, la Chine, où elle a passé 3 ans au milieu du ghetto diplomatique de Pékin. Elle nous raconte, à travers son prisme déjanté, la guerre qui a opposé les enfants d'Allemagne de l'Est, à ceux d'une coalition à majorité francophone.
Un style inimitable pour raconter cette "guerre des boutons" version diplomatique, une complète immersion dans la poésie onirique d'Amélie qui réalise à chaque fois le miracle de me (nous ?) transporter par son flot de mots enchanteurs et enchantés dans un paysage fabuleux peuplé de gamins plus vivants que jamais.
Par contre, si vous chercher à découvrir la Chine à travers les yeux d'un enfant, c'est perdu.

Un vrai bonheur, comme à chaque fois

Yann

[Yann]

Pyongyang de Guy Delisle

Pour ceux qui suivent ma chronique, peut-être vous rappelez vous de Shenzhen, du même auteur.
Pyongyang repose exactement sur le même principe, l'auteur raconte son quotidien lors d'un séjour qu'il a effectué dans la capitale nord-coréenne. Toujours dans le cadre de son travail, il va cette fois superviser la production d'une nouvelle série de dessins animés (la Chine étant devenue "trop chère"... ).
Toujours dans le même style plein d'humour, il porte un regard curieux sur ce singulier pays qui vit en totale autarcie et pourtant tributaire de son grand voisin et de l'aide internationale. Une découverte incroyable, où chaque petit détail révèle une particularité de ce dernier régime communiste autoritaire, qui ne (sur)vit que par opposition au voisin du sud et son protecteur américain.

Un vrai régal à chaque page, des dessins brefs et percutants et un texte sincère et lucide.

Yann

[Yann]

L'envolée sauvage T3 Le lapin d'Alice et T4 La boîte aux souvenirs de Laurent Galandon (scénario) et Hamo (dessin)

Après les deux premiers tomes qui m'avaient laissé sur ma faim, j'ai beaucoup plus apprécié ces deux-là.
Ce n'est pas une suite, mais une histoire parallèle à la première qui se rejoignent à la fin. Toujours sous l'occupation, on suit le destin de deux petites filles juives jetées sur les routes du régime de Vichy après la rafle du Vel-d'Hiv.
Un joli conte, aux dessins beaucoup plus naturels, qui permet facilement d'aborder cette période de l'Histoire avec les plus jeunes.

Yann

[Yann]

Un printemps à Tchernobyl d'Emmanuel Lepage chez Futuropolis

Une magnifique BD qui décrit le voyage de plusieurs artistes français en Ukraine afin de témoigner de la vie qui s'est installée autour des restes de la centrale de Tchernobyl.
En prenant le parti de la mise en abyme, puisque ce que l'auteur nous montre, c'est la genèse du livre que l'on parcourt, Emmanuel Lepage nous plonge dans les circonvolutions de l'âme de l'artiste, partagé entre ce qu'il veut nous transmettre et ce qu'il ressent au cours de ses rencontres et découvertes.
Car le thème central de ce livre, c'est la VIE. La catastrophe nucléaire de Tchernobyl, nous en connaissant tous les causes et les conséquences. Mais si on ne prend plus cet évènement comme un fait extérieur, mais plutôt comme une partie intégrante de notre histoire (au sens biologique) et de notre évolution, on en vient presque à se demander s'il y encore du hasard dans la Nature, et si, au final, la vie n'est qu'un jeu du beau et du bon...

Yann

[Yann]

La rose pourpre et le lys [The grimson petal and the white] de Michel Faber traduit par Guillemette de Saint-Aubin, aux éditions de l'Olivier

Wa, wa, wa ! Quel livre, mais quel livre incroyable !
Ce très gros pavé de plus de 1100 pages (pas pratique dans le RER...) représente l'oeuvre de toute une vie, comme si l'auteur, au fil des 25 années qu'a duré l'écriture, avait patiemment instillé au fil des pages chaque goute de son sang, de sa sueur, de ses peurs et des ses fantasmes, de ses joies et de ses tourments.
Michel Faber, à la fois Hollandais, Australien et Ecossais, nous invite à découvrir un autre monde. Mieux que ça, il nous guide, d'abord à tâtons dans l'obscurité et le brouillard de cet univers étrange, puis au fur et à mesure que la lumière se fait, que l'on prend ses repère, quand tout devient grandiose et féérique, nous fait valser au rythme trépident et irrégulier d'un coeur qui s'emballe, s'enthousiasme, se frustre, se protège et s'extasie.
Pourtant, ce n'est "que" l'histoire d'une prostituée, au parcours et à la vie inhabituelle, dans un Londres de la fin du XIXème siècle où l'Histoire moderne lance son train inéluctablement, happant au passage ceux qui peuvent monter, écartant les autres, balayant les restes d'une époque révolue. Mais ce récit se révèle être un incroyable observatoire des relations hommes-femmes, du pouvoir des uns sur les autres et des rouages sociaux qui, 150 ans après, n'ont pas évolué tant que ça...

En un mot : jouissif !

Yann